La matinée est lumineuse, des perles de rosée glissent des feuilles déjà dorées par les frimas d’automne. L’air embaume l'odeur douceâtre de l’humus. Vos pas laissent une belle traînée agentée dans les herbes que vous foulez. Vous courez parmi les stries de soleil qui filtrent à travers les feuillages, mais cela, vous ne le voyez pas, vous ne le sentez pas. Cela ne vous concerne pas. Votre attention est absorbée par le souci d’aller plus vite que la dernière fois. Gagner quelques minutes sur ce parcours. L’idée vous obsède; le monde se limite à elle en ce moment. La seule conscience qui vous reste est celle de vos muscles qui se tétanisent, de votre souffle qui se fait court. Vous luttez contre vous-même, isolé dans votre carapace. Le monde et sa beauté se sont évaporés.
Permettez-moi…..Que gagnez-vous à vous perdre dans la lutte contre vous-même? Que gagnez-vous à perdre le contact avec le monde? Que se passerait-il si vous suspendiez cette obsession de dépassement, si vous reveniez au présent de ce qui vous entoure et à sa simple beauté?
Car qui sait, mieux être en lien avec le monde vous apporterait bien sûr un mieux vivre, mais aussi le regard que vous porteriez sur lui vous amènerait peut-être à mieux le respecter. Et cette attention à lui, à partir de l’attention respectueuse que vous vous portez, est peut-être le creuset d’une écologie authentique, car incorporée? Soi en harmonie dans un monde lui-même en harmonie, parce que l’on a appris en l’appréciant, à le respecter.
Un des grands principes de la Technique Alexander, l’inhibition, trouve ici toute sa place. : ne pas se laisser submerger par ses habitudes, agir en pleine conscience de soi dans le monde et du monde en soi. Dans ce cas, l’objet de l’inhibition porte sur les valeurs, ce à quoi vous accordez de l’importance. Car les actes de se tourner vers la beauté du monde ou de chercher à se dépasser en luttant contre soi puisent à des valeurs bien différentes. Suspendant l’objectif de vous dépasser, votre attention se détachera de la projection dans le résultat, vous reviendrez au présent de votre course; vous en goûterez le mouvement tout en appréciant la beauté du lieu.
Alors, la prochaine fois, quand vous commencerez à courir, que choisirez-vous de faire?